Pour Matey Mateev, novembre et décembre représentent le sommet de l'activité à son exploitation de caviar de béluga, sur le lac Kardjali, niché au cœur des montagnes des Rhodopes. Ces mois-ci, il intensifie sa production pour répondre aux ordres venant des quatre coins du globe, en prévision des fêtes de fin d'année.
"Ici, nos esturgeons profitent de conditions aquatiques comparables à celles de la mer Noire ou de la mer Caspienne, leurs habitats naturels. Le lac est assez profond et l'eau provient d'une montagne préservée de l'urbanisation", partage M. Mateev, dont le visage rougit sous l'effet du froid.
À 53 ans, cet homme dynamique incarne l’esprit pionnier de la Bulgarie en matière de caviar. Originaire de cette région verdoyante et riche en biodiversité, il a démarré son entreprise au milieu des années 1990, une période où le pays était en proie à une crise économique après la chute du régime communiste.
Si plusieurs espèces d'esturgeons sont élevées à travers le monde, M. Mateev s'est spécialisé dans le béluga, qui est l'une des plus rares et des plus recherchées.
Avec une production annuelle de plus de 520 kilos, la Bulgarie est désormais reconnue comme l'un des principaux producteurs de caviar en Europe, selon Eurostat 2023.
- Une maturation délicate -
M. Mateev explique qu'il a d'abord commencé par élever du poisson pour leur chair, avant de se tourner vers l'esturgeon et, finalement, vers le caviar. Le béluga, le plus grand des esturgeons, peut vivre jusqu'à 100 ans et atteindre six mètres de long. Toutefois, son élevage exige un temps considérable et un investissement significatif, car il devient fertile tardivement, à environ 15 ans, comparé à d'autres espèces qui atteignent cette maturité en sept à dix ans.
"Actuellement, nous ne commercialisons du caviar de béluga que provenant de poissons ayant plus de 20 ans", précise-t-il avec fierté.
Son fils Boris, âgé de 25 ans, ajoute avec humour : "Certains de ces poissons sont de ma génération, d'autres sont plus âgés que moi !".
Dans leur laboratoire, M. Mateev travaille main dans la main avec son frère et son fils. "Chaque kilo de caviar transite par mes mains", déclare-t-il. Leur savoureux produit final est exporté vers le monde entier, avec une prédominance vers la France.
Le caviar est soigneusement transporté dans des boîtes d'un kilo, souvent par avion. À 2000 kilomètres de là, à Paris, il est ensuite proposé dans des magasins haut de gamme, souvent dans de petites boîtes élégantes, sous différentes marques.
"Nous entrons dans la saison où la demande est la plus forte, notamment à l'approche de Noël", souligne Olivier Veillet, directeur régional chez Caviar de Neuvic, une prestigieuse maison parisienne.
"Le caviar béluga reste le plus coûteux sur le marché ; pour une boîte de 30 grammes, par exemple, le prix s'éleve à 192 euros", précise-t-il devant la vitrine réfrigérée des délices aquatiques.
Charles de Saint-Vincent, dirigeant de la Maison Boutary, conclut que "généralement, le prix du béluga est deux à quatre fois supérieur à celui des caviars standard, oscillant entre 3000 et 8000 euros le kilo".
- Une rareté d'exception -
Ce qui distingue le béluga, au-delà de sa rareté, est la taille de ses grains gris, en contraste avec les teintes brunes des autres caviars. L'actrice iconique Elizabeth Taylor aimait à les appeler ses "grey babies", comme le souligne M. Saint-Vincent, qui a écrit "Caviar : manuel décomplexé à l'usage de l'amateur".
La dégustation de ce caviar est une expérience unique : "Il offre une richesse et une douceur exceptionnelles, avec une texture beurrée qui persiste", précise-t-il.
Parmi les leaders européens en matière de production de caviar, on retrouve l'Italie et la France, avec une production respective de 65 et 44,5 tonnes par an, selon Eurostat. Bien que la production mondiale totale avoisine les 500 tonnes, le béluga demeure une niche, représentant environ 1% de la production, selon les analyses de M. Saint-Vincent.
La Bulgarie a su se faire une place dans ce marché grâce à ses rivières naturelles, comme le Danube et la mer Noire, qui sont des habitats traditionnels des esturgeons. Les caractéristiques uniques des eaux du lac Kardjali y contribuent également grandement.
Aujourd'hui, on dénombre plusieurs fermes d'esturgeons en Bulgarie, principalement spécialisées dans l'espèce osciètre, et la majorité de la production est concentrée autour du lac des Rhodopes.
Alors que l'élevage d'esturgeons prospère, leurs homologues sauvages sont en danger à cause de la surpêche et de la pollution. En réponse à cette crise, le gouvernement bulgare a pris la décision d'imposer, dès le 1er janvier 2026, une interdiction indéfinie de la pêche de ces espèces.







